Au Burkina Faso, la population a plus peur du terrorisme que du coronavirus

Article : Au Burkina Faso, la population a plus peur du terrorisme que du coronavirus
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4 juin 2020

Au Burkina Faso, la population a plus peur du terrorisme que du coronavirus

Mondoblog lance le projet Mondoblog, unis contre le Covid-19, pour raconter l’évolution et les conséquences de la pandémie de coronavirus du point de vue des Mondoblogueurs sahéliens.


Ceci est la « Une » du 1er Juin 2020 d’un des médias en ligne les plus suivis au Burkina Faso : Radio Oméga. Ces informations ont aussi été reprises par des médias internationaux comme Le Monde Afrique.
A la lecture de ces articles et des chiffres énoncés, je me suis d’abord sentie triste, puis surtout révoltée. Quand je pense à toutes ces familles endeuillées, je peux comprendre leur rage et leur impuissance.  Il fallait que j’écrive là-dessus. Que je mette des mots sur ce malaise que je ressentais.

Sur Facebook, Radio Oméga donnait les détails suivants : 

  • Une première attaque vendredi 29 mars. Un convoi de commerçants tombe dans une embuscade. Le bilan provisoire fait état de 15 morts, de blessés, des personnes portées disparues et d’importantes pertes matérielles
  • Une deuxième attaque samedi 30 mai. Autour de 13h, un marché de bétail dans la région de l’Est est victime d’une attaque perpétrée par « un groupe terroriste”. Bilan provisoire, 25 morts et plusieurs blessés.
  • Toujours dans la journée de samedi, cette fois-ci dans la région du Centre-Nord, un convoi humanitaire est victime d’une attaque entre Foubé et Barsalogho. Ce convoi était sur sa route de retour après avoir apporté des vivres à des personnes déplacées internes. Le bilan provisoire de cette attaque perpétrée par des groupes armés terroristes est de dix morts (5 civils et 5 gendarmes), une vingtaine de blessés et des personnes portées disparues.

Mon pays fait l’objet d’attaques djihadistes récurrentes depuis 2015, et depuis, ces attaques rythment notre vie quotidienne. Il est vrai que la plupart des attaques ont lieu au Nord et à l’Est du pays, mais Ouagadougou, la capitale où je vis, n’a pas été épargnée. Il y a eu en premier lieu, l’attaque du café Cappuccino et de l’hôtel Splendid dans le centre de la capitale en 2016. Un acte terroriste qui a fait 27 morts et qui nous a tous complètement sonné. Puis, l‘attaque en 2017 du café Aziz Istanbul en 2017, une prise d’otages et un assaut sanglant qui ont fait 18 morts. Enfin, en 2018, une double attaque contre l’état major général des armées de mon pays et l’ambassade de France au Burkina Faso.
Toutes ces attaques ont eu lieu en plein coeur de la capitale burkinabè et ont visé des personnes qui se détendaient dans un restaurant, ou qui vaquaient simplement à leurs occupations, à leur travail. J’avoue que depuis ces attaques, je ne suis plus tranquille lorsque je sors en ville.

Selon le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), plus de 1 800 personnes ont été tuées au Burkina Faso en 2019.

  • Depuis 2015, le Burkina Faso est confronté à une crise humanitaire sans précédent liée à une augmentation soudaine de violences.
  • 2,2 millions de personnes ont besoin d’assistance humanitaire.
  • Plus de 838 000 personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, soit une augmentation de 7,5% depuis février 2020.
  • Selon l’Aperçu des besoins humanitaires, 948 000 personnes ont besoin de protection et 1,5 million de personnes dépendent de l’aide humanitaire en matière de santé.
  • 2 512 écoles sont fermées, privant ainsi plus de 340 000 enfants d’éducation.

Coronavirus : 53 morts en 2 mois
Terrorisme : 50 morts en 48h

Aujourd’hui, je me sens traversée par deux sentiments : d’abord l’impuissance face à la situation sécuritaire de mon pays, mais surtout j’ai le sentiment d’avoir été trahie par ceux qui sont censés veiller sur nous. Et je ne suis pas la seule à le ressentir, beaucoup d’internautes burkinabè s’expriment à ce sujet sur les réseaux sociaux.

Le post Facebook de Radio Oméga a suscité des centaines de réactions et de commentaires, presque tous évoquaient les mêmes questions que moi :
« Pourquoi notre gouvernement ne semble se préoccuper de ses populations que lorsqu’il est question du Covid-19 ? Alors que des milliers de Burkinabè sont morts à cause du terrorisme sans qu’on aie vu ce même engouement ou ce même élan de solidarité ? »

Capture d’écran Facebook de Radio Oméga

Coronavirus : 397 millions de francs CFA en un mois
Terrorisme ?

Dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, l’Assemblée nationale du Burkina Faso a lancé une collecte de dons qu’elle a dénommée « Coronation ». L’objectif est de récolter des dons pour aider les personnes contaminées par le Covid-19. La campagne officielle a été lancée le samedi 18 avril 2020 et environ 397 millions de francs CFA ont été collectés à la date du 14 mai 2020. Des entreprises nationales et multinationales ainsi que des ONG ont fait des dons à hauteur de milliards de francs CFA. Je n’aurais jamais imaginé qu’une telle solidarité soit possible au Burkina Faso.

Capture d’écran Facebook en référence à Djibo, une des villes souvent attaquées par les terroristes.

C’est comme si les luttes étaient choisies, non pas en fonction de leur importance, mais en fonction de ce qu’elles peuvent rapporter aux dirigeants du pays. La pensée générale actuellement, c’est que le Covid-19 intéresse plus nos gouvernants. Ils y verraient une belle occasion de se remplir les poches, et pourquoi pas de financer les prochaines élections, grâce aux collectes de fonds et aux dons reçus. Finalement, le coronavirus est à la mode, populaire et plus “vendeur” que le terrorisme. Raison pour laquelle on entend et on voit plus que jamais les gouvernants mener des actions qu’ils n’ont jamais entreprises avant pour le terrorisme.

J’aimerais voir la même mobilisation, le même entrain des membres du gouvernement et même de tous les burkinabè pour les déplacés internes ou pour toutes ces familles victimes d’une manière ou d’une autre du terrorisme.
Je retrouve tout de même un peu d’espoir quand je vois qu’une réelle solidarité existe au niveau local, dans les petites villes et les villages touchés par les attaques terroristes. La ville de Kaya par exemple, dans la région du centre Nord, a recueilli plus de déplacés internes que sa population locale. Des orphelins et des veuves sont accueillis par des familles.

Capture d’écran Facebook.
Kaya, Titao, Fada… des villes où les attaques terroristes sont fréquentes.

Bien sûr, il est fondamental de tout mettre en oeuvre pour freiner la propagation de la maladie du coronavirus et prévenir la contamination des populations vulnérables. Mais il ne faut pas que la pandémie nous fasse perdre de vue la dure crise que traverse le Burkina Faso à cause du terrorisme qui se déploie actuellement et qui fait plus de morts chaque année. Aujourd’hui, les conséquences du terrorisme pèsent plus sur les populations que le coronavirus, et les Burkinabè attendent toujours que l’Etat réagisse. Ils ne se sentent absolument pas protégés face à la violence inouïe dont sont capables ces groupes armés. Et le pays en a fait le triste constat ce week-end encore… Il faut que cela cesse !

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Commentaires

Julie
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Tu as tellement bien resumé le fond de ma pensée et mon malaise depuis le debut de cette crise du covid! A ce stade ce n est plus de l aveuglement de la part de nos dirigeants....meme les mots irresponsabilité et cupidité semblent faibles pour les qualifier

Lio
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La question au fond, pourquoi ils marquent plus d'intérêt pour le coronavirus ? Recherche de facilité ? Financement pour nourrir la corruption ? Incapacité réelle ?
Qu'est-ce que nous les citadins des grandes villes faisont pour que ça change?
Pays à 2 vitesses (campagnes vs villes)....

Mahmad
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Vraiment ce pays est maintenant loin d'être des hommes intègres